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(Chasseur Français N°
812 de 1964)
Un de mes anciens concitoyens saintongeais, installé depuis
quelques mois à Constantine, doit être pris de la nostalgie du pays de ses jeunes
ans. Il m'écrit : « Pourquoi ne feriez-vous pas un article sur cette race des
chiens saintongeaise que l'on dit disparue et qui fut si renommée ? Je n'en ai
Jamais vu, et bien d'autres comme moi seraient sans doute intéressés par une
étude sur ces chiens. »
Qu'il n'en ait jamais vu 1 II n'y a rien que de très normal
! et aucun homme actuellement encore de ce monde n'a jamais pu en voir t
Les derniers représentants de la race pure constituaient la
meute célèbre de M. Saint-Légier.
Or vers 1849 — les loups — qui étaient la spécialité du
maître d'équipage — avaient disparu. M. de Saint-Légier fit don à M. Auguste
Henness de, « son équipage tout entier ». Ils y ont été immédiatement
transformés en anglo-saintongeais, bien connus sous le nom de « Têtes noires du
Pas des Chaumes ». Le premier croisement provenait de l'alliance de l'étalon
anglais Firebrand et de la Saintongeaise Magicienne. Quelques autres des
derniers Saintongeais étaient passés chez M. de Carayon-Latour qui produisit
avec eux les magnifiques et excellents Gascon-Saintongeais dits de Virelade.
On peut donc en conclure qu'il y a plus de cent ans qu'il
n'existe plus un Saintongeais strictement pur.
On cite bien une chienne du nom de Calypso exposée en 1863,
au sujet de laquelle le marquis de Dampierre qui, pendant sa jeunesse, avait
chassé avec le Comte de Saint-Légier qu'il retrouvait en elle le type qu'il
croyait disparu depuis vingt-cinq ans. Avec « sa tête sèche et osseuse, ses
oreilles fines, longues et noires, ses taches de feu pâle, son encolure
dégagée, ses pattes de lièvre, son air de noblesse, sa voix profonde rappellent
parfaitement le portrait type de cette race ». Mon correspondant me confie : «
Ce qui me taquine, c'est que le premier chien courant que j'ai acheté m'a été
vendu comme un quasi pur Saintongeais. Il était presque tout blanc, avec
quelques taches feu, de haute taille, à tête allongée. Il avait une voix grave,
il en usait même un peu à tort et à travers. »
Deux caractéristiques de ce chien montrent plus
particulièrement qu'il était loin d'être quasi pur ! Jamais un Saintongeais
n'était bicolore à taches fauves. Le Saintongeais était plutôt chiche de voix.
L'origine de la race n'a jamais été tirée au clair. On s'est
borné à supposer qu'elle était née du croisement du Saint-Hubert blanc et du
Saint-Hubert noir 1 D'après les détails fournis sur le type et la façon de
chasser du chien de Saintonge, je serais fort étonné qu'il n'y ait que ces deux
variétés dans sa famille. Voici la description qu'en fait le Comte Le Couteulx
: « Blanc avec taches noires, oreilles noires, palais et testicules noirs ;
marqués de feu pâle au-dessus des yeux, légèrement truites de noir sous poil ;
de la plus haute taille 0,66 à 0,77 centimètres, tête décharnée, nez
légèrement retroussé — ou du moins faisant cet effet par suite de la grande
largeur et épaisseur des narines ; paupières inférieures très tombantes ;
oreilles demi-longues fines, très papillotées, le rein assez étroit et courbé,
le flanc sec et décharné, la poitrine profonde, la flatte de lièvre. Ils sont
généralement un peu-droits sur leur devant et leur vitesse est encore assez
grande, leur allure étant composée d'un bon branle de galop mêlé d un trot
allongé et soutenu. Ils ont une gorge magnifique mais fournissent de loin en
loin. Leur nez est exquis. Ils sont entièrement droits 'dans la voie, ont une
allure régulière et toujours la même et le grand chasser du chien d'ordre. Ils
chassent toute espèce de bêtes et fort bien le loup. « Plus grand, plus beau,
plus noble que ceux de presque toutes les races françaises, pur de toute
alliance depuis plus de trente générations, le vrai chien de Saintonge, avec sa
poitrine profonde et son flanc resserré, sa patte sèche et allongée, son rein
arqué et sa queue effilée ressemble beaucoup au lévrier, et s'il ne brille pas
au premier rang, c'est qu'il n'en a pas la volonté et que sa manière de crier
retarde un peu son allure. Il va sans se presser, confiant dans son fond et son
odorat étonnant. Plutôt que de mettre bas, il consentira peut-être à chasser en
queue, mais sa ténacité viendra à bout de tout ; au débucher, son dos à ressort
le placera bientôt en bon rang, et après dix heures de course sur un vieux
loup, il fera couler à fond le brillant matador, qui le matin le laissait loin
derrière. Il est très disciplinable et facile à. mener en meute. »
Dans tout cela, trouvez-vous quelque chose qui rappelle la
souche Saint-Hubert ?
Le descendant français du Saint-Hubert est en réalité
représenté par le Bruno du Jura type Saint-Hubert. Il est dit la race la plus
lourde de nos chiens courants. Son dos est long et large. Il est de forte
ossature. Son fanon et surtout sa tête lourde et massive, avec son long museau,
ses babines et son front plissé, le font particulièrement remarquer. Tête,
puissante et lourde, des oreilles attachées bien en arrière et bas, plissées et
tournées, sont toujours très grandes et lourdes.
Méditez bien ces quelques caractéristiques Saint-Hubert et
rappelez-vous la constatation du Comte Le Couteulx : « Le Saintongeais
ressemble au lévrier » par sa distinction, par sa poitrine profonde, par son
dos étroit et légèrement courbe... et par son galop, qui en plaine le place au
tout premier rang après de longues heures de chasse.
Et pourquoi n'aurait-il pas du sang lévrier ? Car c'est
vraiment le seul chien qui soit capable de léguer ce grand chic et cette
suprême distinction faisant du Saintongeais « le plus grand, le plus beau, le
plus noble de presque tous les chiens français » selon le jugement même du
comte Le Couteulx, qui dans un autre passage écrit « on dirait un lévrier/ ».
Si l'on ignore réellement l'origine première de la race de
Saintonge, on sait comment a été constituée la famille des Saintongeais
Saint-Légier. Voici ce qu'on peut lire dans l'ouvrage de Pierre Mégnin : «
D'après une note écrite de la main d'un gentilhomme, le marquis de la Porte-aux-Loups, et
conservée dans les papiers de sa famille : au moment où éclata la Révolution de 1789, les
derniers représentants de l'antique race de Saintonge étaient une lice nommée
Minerve et deux chiens nommés Mélanthe et Pouilleux. Ces chiens, laissés au
château de Beaumont, près de Gémozac, lors de l'émigration du marquis, furent
recueillis par un régisseur fidèle qui les ramena sains et saufs à son maître,
lorsqu'il put rentrer en France. M. de la Porte-aux-Loups, quelques années plus tard, donna
ces trois chiens à M. de Saint-Légier, son neveu, 'qui en fit la souche de la
nouvelle race de Saintonge encore perfectionnée par des croisements bien
entendu.
Le comte Le Couteulx décrit ainsi leurs qualités de grands
et beaux chasseurs : « Le vrai chien de Saintonge avait une gorge superbe, un
peu sourde toutefois, et un nez excellent, très droit dans la voie et possédant
assez de train, souvent chiche de voix. Son fond était étonnant. Les anciens
compagnons de chasse de M. de Saint-Légier en citent des exemples
extraordinaires : « Un vieux loup attaqué entre Saintes et Blaye aurait été
pris en trois jours dans les montagnes du Limousin. Rien n'était plus beau que
de voir la meute de M. de Saint-Légier, rapprochant en plein midi, sur des
plaines calcaires et dénudées des voies du vieux loup, qu'elle allait lancer
quelquefois à cinq ou six lieues du découpler. »
Pour prendre un vieux loup après trois jours consécutifs de
course, il fallait de vrais rudes chiens 1 Et ces rudes chiens, en quelques
années, ne furent plus que l'ombre d'eux-mêmes, par suite de l'influence
désastreuse d'une consanguinité excessive.
Ceux qui vers 1849 allèrent au Pas des Chaumes étaient d'une
déficience physique et morale complète et désolante. Et pourtant le vieux sang
saintongeais n'était pas éteint. Dès la première infusion de sang anglais,
santé, vigueur et qualités de chasse réapparurent aussitôt.
Voici ce qu'ils étaient redevenus : « Vîtes sans
exagération, d'une résistance et d'une tenue admirables, criant bien,
parfaitement sûrs de change dès leur première année de chasse ces chiens
exceptionnels devinrent célèbres en Vendée et en Poitou. »
En évoquant le souvenir des défunts chiens si réputés de mon
pays, je ne puis m'empêcher d'avouer que je n'ai jamais compris pourquoi, dans
la langue vénerie, on les appelle souvent des Saintongeois ! Nous, les
gars de Saintonge, nous nous nommons Saintongeais ! L'appellation Saintongeoise
sonne mal à nos oreilles... Alors pourquoi affubler ces chiens d'un
qualificatif aussi déformé et si peu couleur locale ?
Paul Daubigné.
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