La consanguinité canine
Les Bases De La Génétique
La
consanguinité est par définition l’accouplement de deux individus apparentés,
c'est-à-dire ayant au moins un ancêtre commun. Parler de la consanguinité au
sens large n’a pas de sens car tous les individus appartenant à une même race
sont déjà consanguins. Il faut donc parler en taux de consanguinité ou en
coefficient de parenté pour que le discours ait un sens. Dans cet article sera
développée la consanguinité étroite, c'est-à-dire à fort coefficient de
parenté.
La maîtrise
de la consanguinité est indispensable à l’éleveur sélectionneur. Il suffit de
lire les pedigrees de champions dans de nombreuses races pour s’en persuader.
La majorité des éleveurs de renom l’utilise à bon escient, particulièrement les
anglo-saxons.
La consanguinité existe aussi dans la nature chez les pigeons ou dans les
meutes de loups par exemple. Elle est également largement utilisée dans les
autres espèces (ex : le pur sang anglais). Néanmoins, elle continue à
effrayer bon nombre d’éleveurs et suscite de grands débats dans le monde de la
cynophilie.
C’est un
sujet passionnant et tabou qui déchaîne les passions mais qui est rarement
traité de manière objective car il demande un minimum de connaissance en
génétique avant d’en aborder la pratique.
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I/ Chromosomes
et Gènes :
a) Définitions :
Les chromosomes
sont de longues molécules d’ADN situées dans le noyau de toutes les cellules de
l’organisme, ils constituent une sorte de « carte à puce » de
l’individu contrôlant à la fois sa morphologie, son métabolisme, son
comportement et même sa pathologie.
Le chromosome se décompose en une multitude de gènes qui contrôlent
chacun un caractère bien défini. Les chromosomes se regroupent par paires (39
chez le chien). Chaque gène est donc présent en double exemplaire mais peut
s’exprimer de manière différente. On parle alors d’allèles. Un gène peut
donc englober deux ou plusieurs allèles différents.
Si l’individu porte le même allèle sur les deux chromosomes, il est dit homozygote
pour cet allèle. Dans le cas contraire, on parle d’hétérozygote.
b)
Transmission aux descendants :
La
transmission du matériel génétique à la descendance assure la pérennité de
l’espèce et de ses particularités qui en font une race. Elle se fait grâce aux
cellules sexuelles : spermatozoïde pour le mâle, ovule pour la femelle.
Ces cellules ne contiennent plus les chromosomes par paires mais en un seul
exemplaire. Ainsi, lors de leur fusion, l’embryon formé se retrouve en
possession du matériel génétique en double, la moitié venant de son père et
l’autre de sa mère. Ceci est un principe de base en génétique : le mâle et
la femelle ont une importance strictement équivalente quant à la transmission
des gènes. Néanmoins, l’un des deux parents peut « marquer »
davantage sa descendance. C’est ce qu’on appelle un « raceur ». Ce
point sera expliqué un peu plus tard dans l’article.

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II/ Les
Gènes Mendéliens :
a)
Définitions :
Il s’agit
d’un gène qui contrôle à lui seul un caractère.
Certains allèles ont besoin pour s’exprimer d’être présents en double exemplaire
c'est-à-dire à l’état homozygote. On parle d’allèles ou de gènes récessifs.
D’autres s’expriment même à l’état hétérozygote. On parle d’allèles ou de gènes
dominants.
b)
Exemples :
Gène de la
dilution maltaise.
Ce gène existe sous deux allèles :
- L’allèle D (dominant)
qui assure la pleine expression des pigments
- L’allèle d (récessif)
qui dilue les pigments.
Sous son effet, le noir devient bleu, le marron devient souris et le fauve
devient sable. Cet allèle d existe chez le Dogue Allemand, le
Whippet, le Braque de Weimar etc.
- Le phénotype (aspect extérieur)
bleu a donc pour génotype (constitution génétique) uniquement d – d
puisque d est récessif alors que le phénotype noir a deux génotypes
possible : D – D ou D – d.
Le génotype D
– d est d’aspect noir mais porte en lui l’allèle d est donc
susceptible de le transmettre à la descendance


Un
accouplement de deux chiens noirs peut donc donner naissance à des chiots bleus
dans la proportion de 25%.
c) Génotype et
phénotype :
Comme dit
précédemment, le phénotype est l’aspect extérieur du chien, c’est donc
l’enveloppe à l’opposé du génotype qui est le contenu de l’enveloppe. C’est
donc le génotype qui représente un réel intérêt pour l’éleveur alors qu’en
cynophilie, toute la sélection repose sur le phénotype.
Tout le
monde connaît des exemples de grands champions incapables de transmettre leurs
qualités et vice et versa, des étalons ou des lices produisant des chiots de
qualité. C’est le point faible de la cynophilie et c’est là où le bon éleveur
doit faire preuve de clairvoyance et d’audace en n’utilisant pas
systématiquement l’étalon en vogue mais celui qui reproduit le mieux.
Le but de la consanguinité est de rendre la lignée homozygote pour le maximum
de gènes. Ainsi, le phénotype est très proche du génotype car étant homozygote,
tous les gènes s’expriment et le risque de voir des gènes cachés sortir de
temps à autre diminue. Ainsi peut-on fixer les caractères. En effet, un tel
reproducteur est assuré de transmettre ses caractéristiques puisqu’il est
homozygote. C’est ce qu’on appelle un « raceur ». Dans ce cas précis
la sélection sur le phénotype telle qu’elle est pratiquée actuellement est
efficace.
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III/ Les Facteurs
Polygéniques :
A l’opposé
des gènes mendéliens qui contrôlent à eux seuls un caractère, on distingue les
facteurs polygéniques.
Ces derniers sont contrôlés par plusieurs gènes dont les effets s’additionnent.
Ils sont très répandus notamment dans les critères quantitatifs :
variations morphologiques intra-raciales, performances et prédispositions
(dysplasie).
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IV/ Génétique
et Milieu :
a)
Exemples :
Si les gènes
ont une grande importance, ils ne sont pas toujours suffisants pour déterminer
une pathologie. Il faut pour cela que le milieu soit propice.
Exemples : suralimentation pour la dysplasie et les ostéochondroses.
b)
Héritabilité :
L’héritabilité
d’un critère est sa faculté à se transmettre à la descendance.
D’une manière générale, les critères qualitatifs (aspect de la robe, tares
génétiques, anomalies hors standard) contrôlés par des gènes mendéliens ont une
forte héritabilité comparés aux critères quantitatifs polygéniques (variations
morphologiques intra-raciales, performances et prédispositions) qui ont une
faible héritabilité. Au sein de ces derniers les variations morphologiques ont
une plus grande héritabilité que les performances. Les éleveurs savent bien
qu’il est plus difficile de produire un champion de travail qu’un champion de
beauté, la sélection étant plus efficace pour les critères à forte
héritabilité.
* Gènes
pathologiques :
On recense
actuellement chez le chien 250 maladies génétiques dont environ une centaine
contrôlées par un seul gène.

* Exemples
de gènes mendéliens pathologiques.
PRA :
Atrophie Rétinienne Progressive
- PRA
Généralisée : Récessif
- PRA Centrale : Dominance Incomplète
Sauf Briard : Récessif
- Cataracte :
Schnauzer nain : Récessif
Labrador, Golden Retriever : Dominance Incomplète
- Glaucome :
Beagle : Récessif
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Pratique de la consanguinité
I/ Définition
du ou des Caractères à Sélectionner :
La sélection
en élevage doit être rigoureuse et réfléchie. Il faut avant tout choisir le
caractère à sélectionner, éventuellement deux, trois maximum. On ne peut en
effet sélectionner et fixer simultanément plus de 3 caractères.
La sélection doit se faire par étape. Quand le caractère est fixé et bien
stable dans la lignée (c’est-à-dire quand tous les chiots ou presque le
possèdent) on peut passer à l’étape suivante. Chaque étape nécessite deux ou
trois générations, parfois plus. Il peut s’agir de caractères morphologiques
(têtes, angulations, …), sportifs (vitesse du lévrier de course, arrêt du chien
de chasse, …) ou comportementaux (absence de crainte, sociabilité, …). On se
rend compte qu’un tel programme de sélection est long. Pour gagner du temps, on
peut travailler sur plusieurs lignées parallèles.
Par exemple,
une lignée consacrée au mouvement et à la tête, l’autre au poil et à la chasse.
Une fois les caractères fixés dans chacune des lignées on les croise pour
produire des sujets possédant l’ensemble des qualités sélectionnées. Cela
paraît simple sur le papier. La réalité est quelque peu différente car la
consanguinité ne fixe pas que les qualités ; elle fixe aussi les défauts
et les problèmes pathologiques. Il est donc possible par exemple de se retrouver
avec une lignée au mouvement et aux têtes irréprochables mais où les ports de
queue soient catastrophiques.
Il faudra faire preuve de patience et aller chercher cette qualité manquante
chez un autre éleveur (c’est ce qu’on appelle la retrempe). C’est pourquoi,
quand on se polarise sur un ou deux caractères, il faut que tous les autres
soient au minimum acceptables, faute de quoi le travail d’épuration de la
lignée aboutira à son extinction pure et simple car l’ensemble des défauts
fixés sera supérieur aux quelques qualités.
La consanguinité est donc réservée aux cracks. Commencer la consanguinité avec
un chien moyen, c’est assurément perdre son temps.
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II/ Evaluation
des reproducteurs :
Elle est indispensable
à l’élevage de sélection. Pas de consanguinité sans une évaluation sévère et
objective des reproducteurs et des chiots produits. Elle demande, de la part de
l’éleveur, expérience, talent et coup d’œil.
Les
résultats seront consignés dans un cahier qui sera la mémoire de l’élevage.
L’éleveur peut mettre au point un système de cotation basé sur les résultats
d’expositions ou de travail ou, effectuer sa propre grille de cotation en
attribuant une note à chaque région du corps, au mouvement et au caractère. En
dessous d’une certaine note, l’éleveur renoncera à utiliser ce géniteur. C’est
une sorte de confirmation mais d’un niveau nettement supérieur.
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III/ Création
d’une lignée consanguine :
a) In-Breeding et Line-Breeding :
Deux termes
anglais pour désigner deux types d’accouplements consanguins à l’opposé de
l’out-crossing (accouplement non consanguine).
*
In-breeding : C’est l’accouplement de deux reproducteurs de parenté très
proche. (ex : père/fille – frère/sœur)
* Line-breeding : Ici le taux de consanguinité est moins important.
(ex : cousin/cousine – oncle/nièce)

D’après D. Salon – Séminaire SFC – 1988
D’après
l’exemple, du pedigree ci-joint Vickie est le produit d’un out-crossing, Tina
et Victor d’un in-breeding et l’accouplement Victor/Vickie est un exemple de
line-breeding.
La
consanguinité se mesure par le taux de consanguinité qui est d’une grande
complexité et donc impossible à utiliser. En pratique on utilise soit le
coefficient de parenté soit le degré de parenté.
* Coefficient
de parenté : probabilité qu’un gène de l’ancêtre commun ait été
transmis à la fois aux deux apparentés.(Ex : 50% entre frère et sœur – 25%
entre grand-père et petite-fille)
* Degré de parenté : nombre de générations entre un individu et son
apparenté.
Parent : 1 – grand-parent : 2 – arrière
grand-parent :3. ( Ex : Victor et Vickie ont un ancêtre commun :
Ralph)
L’accouplement Victor/Vickie est une consanguinité 2-2
b) Choix des
reproducteurs :
Il est primordial.
C’est la base de la sélection.
En effet, la consanguinité n’améliore pas directement le niveau de la lignée
mais a seulement pour rôle de ne pas laisser perdre le progrès qui résulte de
la sélection.
De plus,
lors de l’utilisation d’un reproducteur extérieur (saillie ou achat) choisi
pour une qualité complémentaire manquante à l’élevage, les chances de succès
seront d’autant plus grandes que son pedigree sera consanguin.
Utiliser un
reproducteur issu d’un out-crossing et donc hétérozygote pour de nombreux gènes
est très hasardeux. Il est possible de gagner mais il y a plus de chances de
perdre.
c)
Accouplements :
Pour
démarrer une lignée consanguine, il faut un crack (mâle ou femelle), pas
seulement un bon chien, mais un chien exceptionnel !
Il faut ensuite l’accoupler avec une femelle apparentée (sœur, cousine, …) ou
non mais avec des qualités complémentaires. L’accoupler ensuite avec l’une des
filles de la portée obtenue, puis une petite fille et éventuellement une
arrière petite fille.
On sélectionnera les filles et les petites filles sur les caractères
suivants :
- D’abord la
prolificité,
- Ensuite la robustesse,
- Enfin et seulement en troisième position : la morphologie.
La
prolificité et la robustesse assure la pérennité de la race et priment donc
bien évidemment sur la morphologie.
Après deux
ou trois générations, dès que les qualités sélectionnées sont fixées, on
effectue un mariage avec une autre lignée aux qualités complémentaires, si
possible elle-même consanguine, puis on repart en consanguinité étroite.
L’idéale est
de posséder soit même plusieurs lignées ce qui permet de gagner du temps. De
plus, l’accouplement de chiens issus de lignées différentes produit des
hétérozygotes qui ne présentent que peu d’intérêt pour la reproduction mais
constitue souvent d’excellents chiots pour la vente et l’utilisation sportive
(effet hétérozys).
* Quand
faut-il arrêter la consanguinité ?
- Si la prolificité diminue,
- Si de nombreuses pathologies apparaissent,
- Quand on évolue vers un hypertype,
- Quand on arrive à un plateau de sélection (c’est-à-dire quand la progression
devient impossible)
Avant de
démarrer en in-breeding comme indiqué ci-dessus, il est préférable de faire un
essai en line-breeding. Cela permet de vérifier si la race ou la lignée de
départ supportera l’épreuve de consanguinité étroite et d’éviter dans certains
cas les catastrophes.
IV/ Avantages
et Inconvénients de la Consanguinité :
Avantages :
- Fixer les
caractères et permettre ainsi une certaine progression grâce à la sélection
effectuée simultanément,
- Détecter et éradiquer les tares d’une lignée,
- Avoir une production homogène,
- Obtenir des reproducteurs consanguins aillant un grand pouvoir
« raceur ».
Inconvénients
et Limites :
- Ne rien
créer d’autre que ce qui est présent au départ d’où la nécessité de démarrer
avec un crack faute de quoi on plafonne rapidement,
- Risque accru de produire des chiots atteints de tares génétiques surtout si
la race ou la lignée sont fortement touchées,
- Risque de perdre tout le travail de sélection si on travaille sur une seule
lignée,
- Mauvaise réputation qui peut affecter la vente des chiots,
- Prolificité éventuellement diminuée,
- Evolution possible vers un hypertype,
- Diminution de la variabilité génétique par élimination de certains gènes qui
peuvent être définitivement perdus pour la race.
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Conclusion :
Bien
maitriser la consanguinité est un outil extraordinaire pour l’éleveur
sélectionneur. Mais il ne faut pas oublier qu’elle est réservée aux cracks et
aux éleveurs chevronnés et qu’elle possède ses propres limites.
L’éleveur
est le détenteur momentané de la race qu’il élève et a le devoir de la
maintenir dans son type sans succomber à la tentation de produire des
hypertypes qui ne seraient que des chiens d’opérette incapables de remplir leur
mission originel. Il a également la lourde tâche de veiller à ne produire que
des chiens sains et de se préoccuper de leur longévité. L’éleveur est avant
tout le premier défenseur de la race qu’il élève.
D'après
Fréderic Maison (Docteur Vétérinaire)
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