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II n'y a plus de doute
maintenant : le Chien est issu de la domestication du Loup. Comme, de surcroît,
les deux espèces s'hybrident sans difficulté et donnent naissance à des
produits indéfiniment féconds, la tendance est forte aujourd'hui à considérer
qu'ils ne forment qu'une seule espèce.
FORMATION
DES RACES
On entend volontiers dire que
la notion de race est totalement artificielle, inventée par l'homme, lequel en
fabriquerait et en ferait disparaître à volonté. Une telle opinion traduit une
ignorance de ce qu'est la race.
C'est au départ une notion zoologique : toute espèce à vaste répartition
géographique se scinde, sous l'effet des particularités du milieu et des
mutations, en un certain nombre de sous-espèces (ou races) géographiques, qui
se distinguent par quelques caractères visibles. Ainsi les zoologistes
distinguent une trentaine de sous-espèces de Loup, et il est probable que
beaucoup d'entre elles étaient déjà constituées au moment de la domestication
du Chien.
Trois sous-espèces de Loup seulement auraient été soumises à domestication,
dont sont dérivées peu à peu, sous l'action du milieu et celle, ténue, de
l'Homme dans le contrôle de la reproduction, un nombre limité de grands
ensembles ayant valeur de races primaires, dites encore races fondamentales ou
grand'races. L'identité de ces dernières est discutée chez le Chien. Sans doute
approche-t-on de près la réalité en empruntant les qualificatifs morphologiques
de Pierre MEGNIN et l'on aurait alors les races primaires suivantes : lupoïde,
braccoïde, molossoïde, graioïde (= lévriers), auxquelles il conviendrait
probablement d'ajouter une race primitive (Dingos, chiens africains etc...).
Tout au long de l'histoire, les grands ensembles que constituent les races
primaires n'ont pas cessé de se différencier géographiquement, éclatant en une
multitude de races dérivées (secondaires, tertiaires etc..., du moins en
théorie). Dans le même temps, des croisements pouvaient survenir, avec des
chiens les plus divers. Il ne faut toutefois pas conclure que les croisements
avaient été tels que tout était mélangé : lorsque, au XIXème siècle, il s'est
agi d'identifier les races, avant de définir un standard et d'ouvrir un livre
généalogique, il n'y a guère eu de difficulté à identifier les animaux qui,
spontanément, étaient reconnus comme appartenant à la race de telle région
(Epagneul breton, Braque d'Auvergne, Berger picard etc), même si certaines
étaient déjà devenues cosmopolites (Caniche par exemple).
Si elles naissent officiellement au XIXème siècle, avec la définition d'un
standard et l'ouverture d'un livre généalogique, la plupart des races ont donc
une longue histoire derrière elles, faite, dans une région donnée, de l'action
du milieu, de la reproduction avec des congénères proches géographiquement,
d'un minimum de sélection de la part de l'homme et de croisements divers, dont
les effets finissent par se diluer.
Que penser alors des nombreux exemples de races dont on dit qu'elles ont été
créées par croisement de plusieurs populations et qui portent, parfois, le nom
du créateur ? Même si on leur en reconnaît le statut, elles ne constituent pas
des races à proprement parler. Parce que, souvent, l'une des populations mères
domine sur les autres, l'idéal serait de les considérer comme des variétés de
ces dernières. Ce n'est toutefois pas possible dans les rares cas où l'on a
réussi à bâtir un véritable type intermédiaire (Dogue allemand par exemple) et
l'on est alors en présence d'une véritable race d'origine métisse ou race
synthétique.
A partir du moment où une race dispose d'un standard et d'un livre
généalogique, le contrôle de la reproduction par l'Homme est en principe total,
mis au service d'une sélection qui vise à l'améliorer et l'homogénéiser. Telle
est la situation que nous connaissons depuis un siècle.
STRUCTURE
GÉNÉTIQUE DES RACES
Les définitions de la race sont
innombrables. Retenons en deux :
• pour le législateur français (Décret relatif à l'amélioration génétique du 14
juin 1969) : une race doit recouvrir un ensemble d'animaux d'une même espèce
présentant entre eux suffisamment de caractères héréditaires communs. Le modèle
de la race est défini par l'énumération de ces caractères héréditaires avec
indication de leur intensité moyenne d'expression dans l'ensemble
considéré" ;
• pour THÉRET (1981), la race est une "population animale prise au sein
d'une espèce, caractérisée par un génotype moyen particulier conduisant à la
manifestation d'un phénotype intéressant la morphologie (conformation), la robe
et une certaine tendance d'aptitude (physiologie et psychologie) pouvant varier
en fonction des conditions de milieu dans lequel sont exploités les
animaux".
Ces définitions sont prudentes. Elles mettent en évidence deux faits importants
: les animaux ne se ressemblent pas pour la totalité des caractères mais pour
certains seulement et, globalement, il subsiste une variabilité suffisante au
sein de la race.
Tout cela peut surprendre car l'idée vient spontanément que des animaux de la
même race se ressemblent nécessairement beaucoup.... En réalité, la race
réalise au plan génétique un compromis entre homogénéité et hétérogénéité :
l'homogénéité augmente nécessairement sous l'effet de la sélection, mais il
importe de ne pas aller trop loin et de laisser subsister une variabilité
génétique suffisante. En effet, à un moment donné, il peut arriver que les
utilisateurs de la race recherchent des types variés d'animaux. Surtout,
l'examen de l'iconographie disponible depuis un siècle incite à l'humilité : ce
que l'on considère comme le beau chien aujourd'hui ne l'aurait peut-être pas
été il y a 50 ans et ne le sera peut-être pas dans 50 ans. Il importe donc
qu'une race conserve les possibilités d'évoluer par elle-même dans une autre
direction. Devenue trop homogène, la race est figée dans un modèle dont elle ne
peut plus se sortir, sauf à recourir au croisement. Le recours à ce dernier,
s'il n'est en soi pas répréhensible dès lors qu'il n'y a plus d'autre solution
et qu'il se fait d'un commun accord entre les éleveurs, concrétise toutefois un
échec de la sélection.
Au total, l'idée que les animaux d'une même race soient, plus ou moins, des
"copies conformes" les uns des autres est étrangère à la notion même
de race mais caractérise plutôt les lignées consanguines. Le maintien d'une
diversité génétique acceptable par les éleveurs, mais aussi suffisante est, au
contraire, inscrit dans la notion de race.
Cette diversité génétique intra-race peut être répartie exclusivement au hasard
sur l'ensemble des animaux. Elle peut aussi, en partie, résulter du
fractionnement de la race en un certain nombre de sous-unités auxquelles nous
allons nous intéresser.
LES
GROUPES INFRA-RACIAUX
Nous retiendrons la variété, la
souche, la lignée consanguine.
La variété (synonyme aujourd'hui de sous-race, alors qu'on établissait une
différence entre les deux au XIXème siècle) comprend un ensemble
d'individus d'une race donnée qui se distinguent de celle-ci par un petit
nombre de caractères héréditaires. Si les variétés gagnent à se reproduire sur
elles-mêmes, il est nécessaire qu'elles se "croisent" de temps en
temps entre elles afin d'éviter une trop grande dérive par rapport à la moyenne
de la race. De toute manière, exprimer suffisamment nettement les caractères
distinctifs mais appartiennent néanmoins à la race. Souches et lignées
consanguines sont également mises en place.
LES
JUGES ET LA SÉLECTION
Le but de la sélection est
double :
• générer du progrès génétique ou, si l'on préfère, "améliorer" la race,
c'est-à-dire la faire
évoluer dans une direction considérée conjoncturellement comme souhaitable ;
• dans le même temps, y conserver suffisamment de diversité pour lui permettre,
le cas
échéant, de s'orienter dans une autre direction.
Autrement dit, il s'agit, pour la race dans son ensemble, de faire se
reproduire surtout des animaux susceptibles de l'améliorer mais aussi, dans une
mesure évidemment bien moindre, des sujets qui s'éloignent des objectifs
recherchés.
Par ailleurs, si l'on considère qu'un animal est officiellement "non
consanguin" lorsque ses parents n'ont pas d'ancêtres communs sur cinq
générations (!), on peut conclure que la majorité des chiens de race est plus
ou moins consanguine et qu'il n'a donc pratiquement pas été prêté attention au
deuxième volet de la sélection.
Il est d'abord du ressort du club de race de définir des objectifs, de faire un
état des lieux de ce qui peut exister encore comme souches ou lignées dans la
race, puis de s'assurer par la suite qu'aucune sous-population originale ni
aucun courant de sang ne disparaît. A son niveau, le juge se doit d'avoir
"les idées larges" dans l'interprétation du standard et les conseils
qu'il donnera aux éleveurs. H doit se remémorer qu'une race n'a pas vocation à
devenir une population consanguine et que, si elle le devient, il y a, d'une
certaine manière, échec de la sélection.
Paradoxalement, il est un secteur où trop déjuges se laissent volontiers aller
à un excès de tolérance à l'égard de la diversité : il s'agit des chiens
hypertypés, dont certains font carrière comme champions internationaux. Nous
n'avons pas à discuter ici des raisons pour lesquelles des juges se laissent
séduire par de tels animaux ni quels sont les inconvénients de l'hypertype pour
le chien lui-même. Nous nous contenterons de dire que les chiens hypertypés
sont souvent hors standard (hypertype = manque de type) et qu'en toute logique,
ils ne devraient pas être confirmés.
CONCLUSION
L'idée que se font les éleveurs
de la notion de race est souvent très éloignée de ce qu'en disent les
scientifiques. Ces derniers conviennent certes que l'essentiel est que les
éleveurs sélectionnent convenablement la population de chiens dont ils
s'occupent : peu importe à la limite qu'elle soit appelée race, variété ou
souche. Mais il faut remarquer qu'augmenter artificiellement le nombre de races
suppose le plus souvent une réduction des effectifs de chacune d'entre elles ce
qui, ajouté à la pratique quasi-systématique d'une consanguinité large, conduit
à une réduction importante de la variation génétique. C'est alors la survie à
long terme de la population qui est en cause et, du même coup, le travail de
sélection effectué risque d'aboutir à un échec.
Il n'est donc pas inutile que les éleveurs et les juges prennent un peu de
recul face à la notion de race, situent leur travail dans un contexte évolutif
à long terme, comprennent que l'homogénéité à tout prix n'est qu'un aspect de
la question et découvrent la nécessité d'une véritable gestion génétique des
races de chiens.
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